Quand je dis que je suis ébéniste, la réaction est quasi unanime : « Quel beau métier ! » L’affaire semble entendue. Mais si on creuse un peu le lieu commun, qu’on cherche où se trouve l’attirance pour ce travail, on arrive vite à des commentaires saluant la beauté du bois, sa noblesse...
La plupart du temps, mes interlocuteurs expriment une tendresse particulière pour cette matière, son toucher, son odeur, sa chaleur...

Ainsi donc nous serions surtout des passeurs, amenant le bois à venir s’installer dans nos maisons, pour en faire le lit, la table, les coffres accueillant nos trésors et les jouets de nos enfants... Ce rôle-là me va, en toute humilité.

J’avoue un grand amour des forêts, et je prends un grand plaisir à jouer avec les formes pour inviter l’arbre à transparaître dans les meubles, à danser dans les lignes.

Les forêts plantées d’une seule espèce sont souvent bien mornes, alors je mélange allègrement les essences, je fais se côtoyer le sérieux du chêne avec la douceur du tilleul, l’espièglerie du frêne rencontre l’ombre du noyer... Et puis ça et là, je laisse battre un cœur, frémir une écorce, j’ose laisser sa chance à un fragile aubier.

Il m’a fallu vingt ans de métier pour m’autoriser ce joyeux métissage entre l’ébénisterie traditionnelle, avec sa cheville ouvrière des tenons et des mortaises, et la célébration du sauvage et du vivant. Je ressens souvent des petits moments de jubilation quand j’arrive à laisser exister une courbe naturelle dans une structure obligée, j’essaie de faire simple.

Et voilà un meuble qui grandit, où chaque planche peut avoir une histoire à raconter, que je découvre en même temps que je le construis, où mon œil et mes mains dialoguent avec les dessins qui se révèlent sous le rabot, où l’inattendu et l’éphémère ont leur mot à dire.